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jeudi 24 avril 2014

Mai 1944 : le Convoi 73 en Lituanie et en Estonie

Inscription "Nous sommes 900 Français" sur les murs du Fort IX de Kaunas

Le Convoi 73 est le seul des 79 convois des Juifs de France, déportés par les nazis, qui ait eu pour destination les Pays baltes. A ce jour, on ignore toujours la raison pour laquelle ce train  a été dirigé vers cette destination et on l’ignorera, sauf surprise, sans doute toujours.

Le Convoi 73, constitué de 15 wagons à bestiaux, a quitté Drancy le 15 Mai 1944. Il avait pour caractéristique de ne comporter que des hommes dans la force de l’âge, entre 12 et 66 ans, en tout 878. Au départ, il leur avait été dit qu’ils allaient travailler pour l’organisation Todt, groupe de génie civil et militaire allemand chargé de la réalisation de constructions, civiles comme militaires, en Allemagne et dans les pays occupés. En fait, le convoi s’est d’abord dirigé vers la Lituanie qu’il atteint après trois jours d’un voyage éprouvant.

Monument (soviétique) au Fort IX de Kaunas

Dix des quinze wagons sont restés à Kaunas, et ce sont environ 600 hommes qui ont été dirigés vers le IXe Fort puis, peu de temps après, vers le camp de travail de Pravieniškės, à une vingtaine de kilomètres de Kaunas. Ils furent soumis au travail forcé avant d’être exécutés par groupes dans la forêt. Les cinq autres wagons ont continué jusqu’à Reval, aujourd’hui Tallinn, et les déportés ont d’abord été internés à la prison de Patarei, puis utilisés à réparer les pistes du terrain d’aviation de Lasnamaë. Ils furent làa aussi assassinés dans leur grande majorité. 

Prison de Patarei à Tallinn

Deux frères germanophones, Harry et Félix Klein, avaient réussi à s’échapper de Pravieniškės. 34 avaient quitté Reval/Tallinn en bateau pour Dantzig et avaient été internés à Stutthof, un immense camp de concentration et d’extermination où se trouvaient des centaines de Juifs de toutes provenances, détenus dans des conditions épouvantables. Seuls 22 des 878 hommes du Convoi 73 ont survécu après la guerre, et ont pu rentrer en France en Mai 1945. Parmi les victimes, on compte le père et le frère de Madame Simone Veil, elle-même déportée à l’âge de 16 ans à Auschwitz-Birkenau. Le pire est que les familles ignorent où leur parent a été exécuté.

Madame Simone Veil

Comme je l’écrivais plus haut, on ignore la raison pour laquelle le train a été dirigé vers les Pays baltes. Après la guerre, les Allemands n’ont pas donné d’explication formelle quant à cette destination exceptionnelle. Une « erreur d’aiguillage » étant peu vraisemblable, une des théories serait que les Allemands aient fait venir des « brûleurs de cadavres » ne parlant pas la langue locale, de façon à ce qu’aucun témoignage ne puisse filtrer sur les exactions qui se déroulaient au fort.

L’Association des familles et amis des déportés du Convoi 73, regroupant environ 350 familles représentant 280 déportés, organise du 5 au 9 Mai 2014 son dixième voyage de mémoire. Chaque voyage passé a été l’occasion d’un événement particulier, inauguration découverte, participation d’un invité. Celui de cette année donnera lieu à l’inauguration d’un monument mémorial sur le site de l’aérodrome de Lasnamaë, en présence de S.E. M. Michel Raineri, Ambassadeur de France en Estonie.

Aujourd’hui, il reste un survivant de ce convoi, Monsieur Henri Zajdenwergier, qui a fêté ses 86 ans en Décembre 2013 et qui avait donc 16 ans en 1944. Il est toujours très actif et participera au voyage de Mai 2014. Je l’avais rencontré lors d’un précédent voyage, et son témoignage est essentiel pour que ne recommencent plus de telles horreurs. Je ne peux que vivement encourager ceux qui le peuvent, à Kaunas, Vilnius ou Tallinn, à s'associer à ce devoir de mémoire pour le transmettre aux générations futures.   

Pour en savoir plus, le site de l’’Association des familles et amis des déportés du Convoi 73 : http://www.convoi73.fr/ dont sont extraites les photos de ce post. Merci à sa Présidente, Madame Louise Cohen, et à Monsieur Isy Szeier pour ce contact qui perdure.

M. Henri Zajdenwergier recevant au Sénat, le 16 Mai 2013, les insignes de Chevalier de la Légion d'Honneur des mains de S.E. M. Frédéric Billet, Ambassadeur de France en Estonie


mercredi 23 avril 2014

22 Avril 1724 : naissance de Kant à Königsberg

Emmanuel Kant

Le 22 Avril 1724 naît à Königsberg, capitale de la Prusse Orientale, Royaume de Prusse, Emmanuel Kant (en Allemand : Immanuel Kant), philosophe allemand qui a eu une influence considérable. Y compris sur moi qui l’ »ai eu au programme de ma terminale philo …… La jeunesse de Kant fut marquée par le piétisme, important mouvement religieux protestant.

D’abord précepteur, à partir de 1746, dans des familles aisées, il devient à partir de 1755 Privatdocent à l’Université de Königsberg, c'est-à-dire enseignant payé par ses élèves). Kant est le premier grand philosophe moderne à donner un enseignement universitaire régulier.

Son œuvre est considérable, mais est centrée autour des trois « Critiques », à savoir Critique de la Raison pure (1781), Critique de la Raison pratique (1788) et Critique de la faculté de juger (1790). Kant n’a jamais quitté sa région natale et avait paraît-il un emploi du temps immuable. Suivant la légende, il n’aurait modifié le parcours de sa promenade quotidienne que deux fois : une fois en 1762 pour se procurer le Contrat social de Rousseau, et une fois en 1789 pour acheter la gazette annonçant la Révolution française ! Il mourra le 12 Février 1804, toujours à Königsberg.

"Critique de la Raison pure"

C’est pour moi l’occasion de rappeler que Königsberg (littéralement « Mont du Roi ») a été créée en 1255 par l’Ordre Teutonique. La ville obtient une charte en 1286, rejoint la Ligue Hanséatique en 1340, devient capitale de l’Ordre Teutonique en 1457, puis capitale du Duché de Prusse en 1525. La première université, l’Albertina, ouvre ses portes en 1544. 

Le 13 Janvier 1945, l’Armée rouge lance son offensive vers Königsberg, qui résistera jusqu’au 11 Avril. Les accords de Postdam du 26 Juillet 1945 officialisent le partage de la Prusse orientale : le sud revient à la Pologne, le nord à l’URSS, Königsberg devenant Kaliningrad, du nom d’un proche de Staline, Mikhail Kalinin, membre du Politburo de 1926 à 1946, et Président du Présidium du Soviet suprême de 1922 à 1946. 

Staline, Lénine et Kalinin en 1919

Königsberg a donc été prussienne puis allemande pendant 690 ans, et russe pendant 69 ans !  Ce qui n’a pas empêché un trio improbable (Poutine – Chirac – Schröder) de célébrer en 2005 les 750 ans de …… Kaliningrad, en l’absence des Présidents polonais et baltes, non invités !  

La tombe de Kant, à l'extérieur de la cathédrale de Königsberg





lundi 21 avril 2014

La "Nouvelle Russie"

Vladimir Poutine

A l’occasion de son show « Questions et réponses » du 17 Avril, Vladimir Poutine a attiré l’attention des observateurs en utilisant le terme Новороссия, Novorossia pour désigner la partie est et sud de l’Ukraine. Il faisait ainsi référence à une entité administrative en vigueur dans l’empire russe de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe siècle.

Entre le XVIe et le XIXe siècle, la Russie et l’Empire ottoman se sont opposés onze fois dans des conflits livrés à intervalles réguliers. La 6ème guerre russo – turque (1768 – 1774) s’était achevée par le Traité de Kütchück-Kajnardja qui donnait son indépendance théorique au Khanat de Crimée, de facto sous protectorat russe.

Catherine II

La 7ème guerre russo-turque (1787 – 1792) est déclenchée par Catherine II, sous l’influence de son ex-amant le Feld-maréchal Prince Grigori Potemkine. Elle veut continuer l’extension de son empire vers le sud en expulsant les Turcs d’Europe et en recréant l’Empire de Byzance. La Russie avait déjà annexé la Crimée le 19 Avril 1783 et fait de la Géorgie un protectorat (comme quoi l’histoire n’est qu’un éternel recommencement !).

Inquiet de l’expansion russe vers le sud, le sultan lança le 14 Août 1787 un ultimatum à la Tsarine, demandant l’évacuation de la Crimée et de la Géorgie. L’ambassadeur russe à Constantinople fut arrêté, ce qui entraîna la déclaration de guerre de la Russie à l’Empire ottoman le 15 Septembre 1787. L’Empire d’Autriche se joignit à la Russie le 9 Février 1788 qui lui avait promis la Bosnie, la Serbie et l’Albanie. Mais à la mort de l’Empereur Joseph II, son successeur Léopold II abandonne son allié russe.

Le 9 Janvier 1792 est signé le Traité d’Iaşi par lequel la Turquie ottomane reconnaît l’annexion par la Russie du Khanat de Crimée et de la province Turque du Yédisan (partie nord-est de l’actuel oblast d’Odessa, comprenant le littoral de la Mer Noire entre Boug et Dniestr). Une partie des Tatars de Crimée furent expulsés vers l’Empire ottoman et furent remplacés par des Russes, des Ukrainiens et des Grecs pontiques (populations hellénophones du pourtour de la Mer Noire) dans ce qui devint alors la « Nouvelle Russie ».


Un des premiers gouverneurs de la « Nouvelle Russie » (de 1803 à 1814) sera Armand Emmanuel du Plessis, duc de Richelieu, dont la statue en Empereur romain ( !) domine l’escalier dit de Potemkine à Odessa. Sous son gouvernorat, la Bessarabie (peuplée de Moldaves) et la gouvernement de Rostov (peuplé de Circassiens) seront rattachés à la Nouvelle Russie et des colons russes et ruthènes (= ukrainiens) y seront installés. Son successeur, de 1815 à 1823, à la tête de la « Nouvelle Russie » sera Alexandre Louis Andrault, comte de Langeron (c’est lui qui prendra Montmartre le 30 Mars 1814 au nom de la Russie).

Statue du Duc de Richelieu à Odessa

On voit donc que le terme de « Nouvelle Russie » employé par Vladimir Poutine englobe historiquement des territoires axés plus vers le littoral de la Mer Noire que vers l’est de l’actuelle Ukraine. Une indication pour l’avenir ?  




  

  


mercredi 16 avril 2014

Les Etats baltes sont-ils sur la liste de M. Poutine ?


Qui aurait cru il y a quelques mois que la Russie aurait, non seulement occupé, mais annexé la Crimée ukrainienne ? Même pas moi, puisque ce n’est qu’en Septembre 2013 que j’avais lancé un voyage de ma Promotion de Saint-Cyr à Odessa et en Crimée pour commémorer les 160 ans du début de la guerre éponyme, voyage depuis bien évidemment annulé.

Aujourd’hui, les Spetsnaz du GRU (voir post d’hier) sont à l’œuvre dans l’est de l’Ukraine pour jouer le même scénario. Mais M. Poutine s’arrêtera-t-il là ou continuera-t-il dans sa conquête de l’Europe annoncée par son idéologue Alexandre Douguine ?

J’étais récemment en Lituanie et en Lettonie (du 10 au 17 Mars 2014). J’ai été très frappé de l’inquiétude de mes amis lituaniens, notamment à Kaunas. Il faut dire qu’ils se souviennent du synopsis de l’occupation de juin 1940 : provocations montées de toute pièce, entraînant l’invasion des Etats baltes, non-réactions des occidentaux (certes, à l’époque, occupés ailleurs), synopsis en tous points semblable à ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine.


Cette inquiétude s’appuie sur les faits suivants :

# Les exercices russo-bélarusses « Zapad » (le dernier, « Zapad-2013 », a eu lieu du 20 au 26 Septembre 2013). Le thème, pas vraiment crédible, en était de facto une réaction des forces russo-bélarusses à une attaque des Baltes contre le gouvernement bélarusse.

# Les activités aériennes russes, depuis le Bélarus et l’exclave de Kaliningrad, ont apparemment augmenté ces temps-ci autour des Etats baltes. Ce qui a entraîné la mise en place de renforts (6 F-15C Eagle US) au profit de la mission OTAN de police du ciel à Šiauliai (nord de la Lituanie), et d’autres (britanniques, danois) sont à venir.   

# Dernier avatar, jeudi 10 avril dernier : des exercices militaires apparemment non annoncés à Kaliningrad, au cours duquel  un destroyer et une corvette russes, dans la zone économique spéciale  lituanienne, déroutaient des navires de commerce, ce qui a nécessité l’intervention d’un navire de guerre lituanien.

# Au passage, cette exclave de Kaliningrad, coincée entre Pologne et Lituanie,  est une épine dans le pied de l’UE et de l’OTAN car on ne sait pas exactement ce qu’il s’y passe, quels sont les moyens militaires exacts sur place, et la Russie menace tous les quatre matins de mettre des missiles balistiques sol-sol de courte portée (500 km maxi) Iskander en réaction au projet de bouclier anti-missiles US. Ce qui menacerait la Lituanie et la Lettonie, et une bonne partie de la Pologne.



On sait que le Président russe peut désormais envoyer ses troupes là où il veut pour « défendre » les russophones où qu’ils soient. Dans la région, les russophones sont surtout en Lettonie (région de Daugavpils et en Estonie (région de Narva). J’ai personnellement noté ces temps-ci une recrudescence des attaques des médias russes contre le statut des non-citoyens en Lettonie (« violation des droits de l’homme » !). Mes interlocuteurs lituaniens ne semblaient pas persuadés que l’OTAN interviendrait automatiquement pour défendre les Etats baltes si ceux-ci étaient attaqués, malgré l’article 5 de la Charte de l’OTAN.

Il y par d’ailleurs, apparemment, une certaine psychose en Lituanie quand on voit que, le 8 avril, à Druskninkai (sud de la Lituanie, près de la frontière avec le Bélarus), à l’occasion d’une coupure accidentelle d’électricité, les habitants ont cru à une attaque bélarusse ! 

En outre, depuis le 7 avril, la Russie interdit les importations de porc en provenance de Pologne et de Lituanie pour suspicion de grippe porcine, alors que celle-ci est endémique en Russie ! Cela survient après l’interdiction, pour des raisons tout aussi fantaisistes, des importations du lait lituanien pendant plusieurs mois !   

Enfin, le 14 Avril, « The Baltic Times » signalait une enquête de la chaîne de télévision lettone TV3 indiquant que des agents russes sondaient secrètement les habitants de la zone frontière lettone avec la Russie pour avoir leur opinion sur l’annexion de la Crimée…….

Psychose ou réel danger ? A mon sens, la pression sur les Etats baltes pourrait se faire par des moyens militaires (gesticulation aux frontières) mais aussi économiques. Il serait en tout état de cause irresponsable de ne pas l’envisager.

Soldats lituaniens en Afghanistan



mardi 15 avril 2014

KGB, FSB, GRU, Spetsnaz : comment s’y retrouver ?


En Ukraine, où, malgré les dénégations de Moscou, on les a vus à l’œuvre en Crimée et maintenant dans le Donbass, on les appelle « les petits hommes verts ». Au mieux, on les regroupe sous le vocable pratique de « forces spéciales russes ». Comment s’y retrouver dans cette nébuleuse qui constitue le fer de lance de l’armée russe ?

Emblème du KGB

A l’époque soviétique était le KGB (acronyme de Комитет государственной безопасности = Comité pour la sécurité de l’Etat), principal service de renseignement de l’URSS, créé le 1er Janvier 1954. Le KGB était chargé aussi bien du contre-espionnage que des gardes-frontières, du renseignement extérieur, de la lutte contre les opposants ou de la protection des personnalités. Uniquement subordonné au Politburo, et particulièrement au secrétaire général du parti communiste de l’URSS, il avait en outre la haute main sur ses concurrents, le GRU, rattaché à l’Armée rouge, et le MVD, Ministère de l’intérieur, c’est-à-dire la police.
Le KGB cesse d’exister le 4 Décembre 1991. Ses services sont divisés en plusieurs branches distinctes, mais les missions perdurent.   

Emblème du FSB

Le FSB (Федеральная служба безопасности Российской Федерации = Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie) est le principal successeur du KGB. Il en a d’ailleurs gardé le PC, la sinistre Loubianka.

La Loubianka

Le FSB est responsable de la sécurité intérieure de la Russie, du contre-espionnage, et de la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et le trafic de drogue. Mais il est également engagé de facto contre l’élimination de la dissidence interne, mettant en œuvre désinformation, propagande, provocations et persécutions des dissidents et opposants politique.

On notera que le FSB est compétent pour agir dans les territoires des anciennes républiques soviétiques, preuve, s’il en était besoin, que celles-ci n’ont jamais quitté l’espace russe dans l’esprit des dirigeants. Enfin, le FSB peut conduire des opérations militaires anti-terroristes (sic) n’importe où dans le monde. Dans ce contexte, tous les services d’ordre et de renseignements de Russie peuvent travailler si besoin sous le contrôle du FSB.

Emblème du GRU

C’est le cas du GRU (Главное развeдывательное управление Генерального штаба Вооруженных сил = Direction générale des renseignements de l’État-major des forces armées), service de renseignement militaire, dont les officiers ont la réputation d’être moins politisés mais plus directs, comprendre plus brutaux.

Le SVR (Служба внешней разведки Российской Федерации = Service des renseignements extérieurs de la Fédération de Russie) est, depuis 1991, le successeur de la 1ère Direction générale du KGB et pratique l’espionnage « à partir du territoire », c’est-à-dire l’approche des étrangers sur le territoire russe (personnels des Ambassades, délégations, voire touristes) dans le but de leur soutirer des informations.  

Enfin, le terme Spetsnaz (contraction de Войска специального назначения = Forces à but spécial) est générique et désigne les multiples groupes d’intervention spéciaux du FSB (groupes Alpha et Wympel), du SVR, du GRU et de divers ministères. Leur seul mot d’ordre est l’efficacité absolue par tous les moyens disponibles (sic) !

"Petit homme vert" en crimée

Les « petits hommes verts » en Ukraine sont très vraisemblablement à chercher dans les Spetsnaz du GRU qui ont déjà participé aux opérations en Afghanistan, en Tchétchénie et en Géorgie. Ils ont en effet dans leurs missions de faire des sabotages, d’exécuter des chefs ennemis, de prendre des objectifs, de faire des reconnaissances en temps de guerre, etc.…… Le tout sans trop se soucier des méthodes et des dégâts, au point qu’Amnesty International les a accusés de crime contre l’humanité pendant la guerre en Tchétchénie. On leur a également prêté un rôle actif dans la libération des otages du théâtre de la Doubrovka (2002) et de l’école de Beslan (2004), avec dans les deux cas un bilan particulièrement sanglant.




lundi 7 avril 2014

Quand la Moscovie capte l’héritage de la Rus’ / Ruthénie

Le baptême de Volodymyr le Grand en 988

Ce qui va suivre va sans doute paraître ésotérique à certains de mes lecteurs. Ces subtilités historico-sémantiques sont toutefois bien plus importantes qu’il n’y paraît dans la mesure où la Russie d’aujourd’hui joue encore dessus pour étendre son empire !

Tout d’abord, il n’est sans doute pas inutile de rappeler qu’en ethnologie comme en linguistique, on distingue trois groupes de populations slaves : les Slaves orientaux (principalement Russes, Biélorusses et Ukrainiens), les Slaves occidentaux (Polonais, Tchèques, Slovaques) et les Slaves méridionaux (Slovènes, Croates, Bosniaques, Serbes, Bulgares, Macédoniens, etc….). Il ne sera ici question que des Slaves orientaux.

A partir de la fin du IXe siècle, les tribus slaves orientales, divisées, auraient fait appel à un groupe de Varègues (Vikings de la route de l’est) pour les unifier. A partir de 1917, les « historiens » soviétiques finirent par nier toute intervention extérieure et affirmèrent que la Rus’ fut le produit du seul développement indigène des sociétés slaves-orientales.  

S’il n’y a aucune certitude que les Varègues aient créé ex nihilo des structures politiques chez les Slaves orientaux, il n’en reste pas moins qu’ils ont fourni à la Rus’ originelle une dynastie de souverains talentueux.
L’apogée de l’Etat de la Rus’ sous les Grands Princes Volodymyr le Grand (980 – 1015), qui reçoit le baptême en 988 et impose à son peuple le christianisme de rite byzantin, et de son fils Iaroslav le Sage (1019 – 1054).

La Rus' au XIe - XIIe siècle

Malheureusement, le système de succession entraîna des guerres civiles entre les diverses principautés constitutives de la Rus’, laquelle se divisa en de multiples principautés. Malgré Volodymyr II Monomaque (1113 – 1125) et son fils Mstislav 1er (1125 – 1132), ce dernier sera le dernier souverain d’une Rus’ unie.
C’est un événement extérieur qui mettra fin à la Rus’ kiévienne : la conquête mongole. Après un premier raide, suivi d’autres, en 1222, Kiev tombera en 1240 et sera presque totalement ruinée.

A cette époque de la conquête mongole, Moscou n’était qu’un avant-poste négligeable de la Principauté de Vladimir-Souzdal. C’est Daniel Moskovski (1263 – 1303), le plus jeune fils d’Alexandre Nevski, souverain de Vladimir-Souzdal, qui va commencer à élargir sa petite principauté de Moscou. Par la suite, celle-ci se transforma en Grande-Principauté (1328 – 1547), son expansion s’accompagnant de consolidation interne (perte de l’autonomie des princes). En 1547, c’est Ivan IV le Terrible qui prendra le titre de « Tsar de toutes les Russies », le terme englobant la Grande Russie (Russie stricto sensu), la Petite Russie (Ukraine) et la Russie blanche (Biélorussie).  

Les extensions successives de la Principauté de Moscou

Depuis le XVIIIe siècle, l’Empire russe a réussi à imposer une théorie selon laquelle les Russes sont les principaux héritiers de la Rus’ kiévienne, qui était en fait la première « Russie » (sic). C’est d’ailleurs à cette époque que la Moscovie a adopté le nom de Russie, dérivé de Rus’, ce qui constitue une sorte de captation d’héritage. Après les invasions mongoles, alors que les territoires des futures Ukraine et Biélorussie tombaient sous la domination lituanienne puis polono-lituanienne, la Moscovie s’estima dépositaire de la tradition politique kiévienne et entreprit la « réunification » de l’ancienne Rus’ sous la forme de l’empire russe moderne. Après les avoir « libérés », le pouvoir russe nia la qualité de peuples distincts aux Ukrainiens et aux Biélorusses, les considérant comme des groupes russes dont les particularismes ne seraient apparus que tardivement, sous l’influence polono-lituanienne.  

Aujourd’hui, on assiste bien à la même dialectique, la Russie voulant « réunifier », au besoin par la force, les peuples de langue russe !  

(Texte en partie inspiré de « L’Empire médiéval de Kiev, débats historiques d’hier et d’aujourd’hui » de Iaroslav Lebedynsky, 2002)


vendredi 4 avril 2014

Alexandre Douguine, l’idéologue du nouvel Empire russe


L’histoire de la Russie a connu au cours du XXe siècle a connu plusieurs périodes : monarchie, totalitarisme, perestroïka et, finalement, la recherche d’un chemin vers la démocratie avec Boris Eltsine. Chaque époque a eu sa propre idéologie et, en 1996, le Président Eltsine a constitué une équipe d’universitaires pour trouver l’ « idée russe » (Russkaya ideya).

A la même époque, des politiciens et des penseurs conservateurs fondèrent Soglasiye vo imya Rossiya (« Accord au nom de la Russie ») ; inquiet de la faiblesse de la Russie, ils souhaitaient lui redonner sa gloire passée grâce à un gouvernement central fort. Cette doctrine, dénommée l’eurasisme, s’est fortement développée et enrichie au cours de la dernière décennie et est inséparable de son fondateur, Alexandre Douguine.

Celui-ci passe successivement par l’ésotérisme et le mysticisme, la tradition et les « racines hyperboréennes », l’ultranationalisme de « Pamyat », le national-communisme après une rencontre avec le leader communiste Gennady Zyuganov, puis, à la chute de l’URSS, il s’oppose au régime pro-occidental d’Eltsine et écrit dans le journal de l’opposition rouge – brune Dyen (Le Jour). Il fait plusieurs séjours en France où il rencontre notamment Alain de Benoist, principal représentant de la « Nouvelle droite ».

L1er Mai 1993, Douguine lance avec Edouard Limonov (écrivain de la contre-culture exilé par les soviétiques en 1974) le Front (puis Parti) national-bolchevik, en réaction au « cataclysme social de l’ère eltsinienne ».
En 1998, Dougine quitte le Parti National-Bolchevik, ayant trouvé sa véritable voie : l’eurasisme.

de g. à dr. : Edouard Limonov, le chanteur Iegor Letov, Alexandre Douguine


L’eurasisme est une doctrine géopolitique initialement développée dans les années 20 par des émigrés russes. Elle considère l’ensemble formé par la Russie et ses voisins proches, slaves, roumains, grecs ou musulmans, comme une entité continentale à part entière, un espace intermédiaire à cheval sur l’Europe et l’Asie.  

Le but déclaré du mouvement néo-eurasiste de Douguine est de constituer un grand bloc continental eurasien pour lutter à armes égales contre la puissance « atlantiste » qui représente le « mal mondial », entraînant le monde vers le chaos ! Dans le contexte strictement russe, c’est une troisième voie entre l’orientation occidentale et libérale et la nostalgie du passé communiste.

Le néo-eurasisme connut rapidement un développement important, ayant une forte influence sur des politiciens comme Vladimir Jirinovski et Guennadi Ziouganov. En 1998, Douguine devint conseiller du Président de la Duma (alors le communiste Guennadi Selezniov). En 2000, il soutient le nouveau Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, car celui-ci montre une orientation beaucoup plus patriotique et moins servile envers l’Occident.


En Avril 2001, Douguine créée le Mouvement social politique pan-russe « Eurasia », transformé en parti politique en 2002. Aujourd’hui, les idées eurasistes ont une influence certaine jusque dans les membres der l’entourage de Vladimir Poutine, mais aussi auprès du Président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbayev.

Il est donc intéressant de relever certaines des réflexions d’Alexandre Douguine, comme celles exprimées lors d’une interview sur tv.russia.ru le 11 Avril 2013. On relèvera notamment « Nous devons conquérir l’Europe et l’annexer » ; « L’élite européenne a déjà pensé livrer l’Europe à une Russie conservatrice et sûre d’elle. Nous pouvons déjà compter sur une cinquième colonne européenne » «Nous proposerons aux Européens de les sauver des gays, des Pussy Riot, des Femen …… L’Europe y gagnera »; « Finie la repentance. Vous n’arrivez à venir à bout de l’émigration, nous le ferons pour vous » ; « L’Europe entrera dans notre union eurasiatique …… Nous introduirons une censure patriotique ».  
  
In fine, il définit les moyens d’action : « Pierre le Grand l’a fait : il a envoyé les cosaques en Europe centrale et a modernisé la Russie. Le soft power suffira : trouver une cinquième colonne, propulser au pouvoir les gens que nous contrôlons, acheter avec l’argent de Gazprom des spécialistes de la réclame (sic) ……nous utiliserons les ONG comme eux le font contre nous…. Le tsar russe ou le président russe doivent être un tsar européen ou un président de toute l’Europe. »


D’ici à ce que ce soient également les idées de Vladimir Poutine, dont on dit que Douguine est le mentor, il n’y a qu’un pas …… qui laisse à penser que l’occupation de la Crimée n’est qu’un début !